FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN – Alors que la COP25 s’achève à Madrid, le spécialiste reconnu des enjeux écologiques Jean-Marc Jancovici a accordé au FigaroVox un grand entretien. Sceptique quant à l’issue de la COP, il plaide pour des économies d’énergie et la poursuite du nucléaire comme «canot de sauvetage».
Par Eugénie Bastié
Publié le 13 décembre 2019 à 18:02, mis à jour le 14 décembre 2019 à 15:11
Jean-Marc Jancovici est polytechnicien, ingénieur et enseignant. Il intervient régulièrement sur des sujets relatifs à l’énergie et à l’écologie. Il a été membre du comité stratégique de la fondation Hulot. Il a été coauteur du Pacte écologique signé par les différents candidats à la présidentielle de 2007. Il a également participé à l’ouvrage collectif, Décarbonons (Odile Jacob, 2017).
« LE FIGARO.- Vous évoquez souvent l’immense décalage entre le coût de l’énergie et son utilité sociale. Nous ne nous rendons pas compte de la valeur de l’énergie? Est-ce l’impensé de l’écologie?
Jean-Marc JANCOVICI.- La quantification économique a pris le pas sur d’autres métriques pour juger l’utilité de quelque chose. On pense spontanément que ce qui est utile vaut cher, que tout ce qui fait notre vie s’achète, or comme l’énergie ne coûte pas très cher dans notre poste de dépense (environ 10% pour un ménage pour logement et transports), le lien de dépendance n’est pas ressenti. Or ce qui fait notre mode de vie: les villes, le pouvoir d’achat, les études longues, le basculement dans le tertiaire, les week-ends, les 35h, les retraites, les six semaines de congés payés, la viande à tous les repas, c’est l’énergie, et très majoritairement les combustibles fossiles.
La gratuité de ces sources énergétiques fait qu’elles ne sont pas dans notre radar. Nous sommes des urbains déconnectés des flux physiques qui nous permettent de vivre.
Les machines sont invisibles dans la convention économique: on continue à dire que les gens travaillent mais en réalité ce sont surtout les machines qui produisent. La puissance des machines dans le monde occidental, c’est 500 fois la puissance des muscles des Occidentaux. Pour que la France produise ce qu’elle produit aujourd’hui, sans machines, il faudrait multiplier sa population par 500 à 1000. Les machines sont totalement dépendantes de l’énergie, qui est un facteur beaucoup plus limitant que la force de travail pour l’économie. On ne se rend pas compte car on juge les choses à travers leur prix, convention humaine qui ne tient pas compte des réalités physiques. Dans le système économique moderne, on a considéré que tout ce qui venait de la nature était gratuit, n’avait pas de prix. En ce sens le pétrole est aussi gratuit que le vent car personne n’a rien payé pour qu’il se forme. La gratuité de ces sources énergétiques fait qu’elles ne sont pas dans notre radar. Nous sommes des urbains déconnectés des flux physiques qui nous permettent de vivre. Le thé que nous sommes en train de boire en ce moment a poussé à des milliers de kilomètres d’ici!